Institut d'étude des intervalles

Épisode 4 – Dans les débris de leur vie retrouvée

Le Tiret d’Alice – Épisode 4

Dans les débris de leur vie retrouvée

Dimanche 21 septembre 2025 (programme à suivre)

De tout temps, les récits ont entretenu des liens étroits avec la mort. La nécessité de transmettre quelque chose de la vie de celles et ceux qui ne sont plus apparaît souvent essentielle: pour faire vivre leur mémoire, pour entretenir les relations qui les lient à nous et pour amadouer leur absence. Cette relation étroite traduit également la capacité des défunt·es·x à se manifester à travers nos pensées et nos actions, et à nous engager dans un rapport de soin par le récit, dans la perspective si justement formulée par Magali Molinié de « soigner les morts pour guérir les vivants » (1).

Dans son livre Comptez vos jours (1966), Alice Rivaz a su trouver des mots puissants pour évoquer le rôle des écrivain·es·x et des artistes face aux défunt·es·x, associant son propre rôle de romancière à « deux mains qui ramènent vers la rive, chaque soir, un filet », afin de « sauver ce qui sera bientôt recouvert par la nuit »: « Serait-ce dès lors une sorte de défi? Faire le compte des vivants et des morts avant le coucher du soleil? Les rassembler autour de moi comme un troupeau, les ramener à la rive, ainsi fait le pêcheur de son filet? Pêcheuse, bergère! Il faut trouver un toit, une porte, afin que réunis de nouveau grâce aux mots, tenus ensemble sur la page, les visages perdus et rappelés, se reconnaissent et se rassurent, mêlent leur chaleur de ressuscités dans les débris de leur vie retrouvée » (2)

Consciente aussi bien de l’importance que de l’humilité de sa position, Rivaz envisage le rôle de la littérature comme l’art de prêter attention aux autres, à leur silence et leur absence, mettant sa plume au service d’êtres invisibles – vivants et morts – qui en appellent à son concours. S’il résonne avec la pratique de nombreux·ses·x artistes, cet appel des mort·es·x aux vivant·es·x nous concerne toutes et tous. Les personnes défuntes ne sont-elles pas elles aussi agissantes, ne serait-ce qu’à travers nous? Comme le propose la philosophe Vinciane Despret, on peut considérer la manière dont les mort·es·x « font de nous des fabricateurs de récits » (3).

Pour ce 4e épisode du Tiret d’Alice, l’Institut d’étude des intervalles (iEi) propose un programme de rencontres, débats, lectures et performances. Ce programme vise à interroger la diversité des rapports entre les mort·es·x et les récits, tout en faisant écho à l’intérêt de Rivaz pour les enjeux de soin et d’attention aux autres, ainsi que les pratiques peu visibles ou invisibilisées.
À une époque où la mort est souvent reléguée à la sphère privée et où les politiques de soin sont mises sous pression, tandis qu’en toile de fond se succèdent les événements funestes – que l’on pense à l’effondrement du vivant, aux politiques migratoires meurtrières, aux guerres et aux génocides –, parler collectivement de la vie des mort·es·x (ou comme le propose Carolina Kobelinsky, des « futurs rêvés des morts » (4)) participe d’un questionnement à la fois éthique, politique et poétique. Le tiret entre les dates de naissance et de mort sensé « contenir toute notre vie », dont Alice Rivaz parlait dans ses écrits (5) comme d’un signe muet, en appelle ici à cet art des récits pour réparer quelque chose de ce silence, ou plutôt: pour apprendre à l’écouter et contribuer à le faire entendre.

(1) Magali Molinié, Soigner les morts pour guérir les vivants, Paris: Le Seuil, 2006
(2) Alice Rivaz, Comptez vos jours (1966), Vevey: L’Aire Bleue, 2016
(3) Vinciane Despret, Au bonheur des morts, Paris: La Découverte, 2015
(4) Carolina Kobelinsky & Filippo Furri, Relier les rives – Sur les traces des morts en Méditerranée, Paris: La Découverte, 2024
(5) Voir « Une Marthe » (1944) et « La bonne » (1985), in Sans Alcool, Genève: éditions Zoé, 2020

Programme

21 septembre 2025

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